L’accompagnement de la personne en fin de vie & le bénévole
Le présent article rédigé par Mme Dr. Lucie Sourzat, Maître de conférences en Droit public, Université de Lille, s’inscrit dans le cadre de la 3e chronique en Droit de la santé du Master avec le soutien du Journal du Droit Administratif.
Entretien avec Valérie Revol
Présidente de l’Association pour le développement des Soins Palliatifs de Toulouse
par Lucie Sourzat,
Maître de conférences en Droit public, Université de Lille
La récente célébration des 5 ans de la loi Claeys-Léonetti du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie[1] ainsi que les effets de la crise sanitaire nous ont semblé être l’occasion d’engager une réflexion sur l’état des soins palliatifs en France avec une analyse plus spécifique portée sur l’accompagnement des personnes en fin de vie par le bénévole.
L’article L.1110-10 du Code de la santé publique mis en place par la loi Kouchner relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé du 4 mars 2002 définit les soins palliatifs comme des « soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile visant à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage ».
Les soins palliatifs apparaissent comme un sujet d’actualité à commencer par l’inégalité d’accès à ces derniers. En effet depuis le début des années 2000, de nombreux rapports et enquêtes ont été rendus à ce propos. On pense notamment au dernier rapport de l’IGAS relatif à l’évaluation du plan national 2015-2018 pour le développement des soins palliatifs et l’accompagnement en fin de vie publié au mois de février 2020 ou encore aux données de l’Atlas 2020 des soins palliatifs du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie. Or si à la lecture de ces derniers, on note que de nombreux efforts ont été menés pour le développement des soins palliatifs, l’accompagnement de la personne en fin de vie soulève encore de nombreux questionnements. Certains d’entre eux ont été d’autant plus révélés par la crise sanitaire liée à l’épidémie de SARS-CoV-2.
En effet si la personne accède aux soins palliatifs, la question des modalités de sa prise en charge se pose. Hormis celle de la structure qui doit accueillir la personne (unité de soins palliatifs, équipe mobile de soins palliatifs, lit identifié de soins palliatifs, hospitalisation à domicile…), l’article L.1110-11 du Code de la santé publique prévoit aussi un soutien de la personne par des « bénévoles, formés à l’accompagnement de la fin de vie et appartenant à des associations qui les sélectionnent ». Seul bénévolat dont la formation se trouve strictement encadrée par la loi en application de la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs[2], ces bénévoles « peuvent, avec l’accord de la personne malade ou de ses proches et sans interférer avec la pratique des soins médicaux et paramédicaux, apporter leur concours à l’équipe de soins en participant à l’ultime accompagnement du malade et en confortant l’environnement psychologique et social de la personne malade et de son entourage »[3]. Plusieurs associations, quasiment toutes créées dans les années 1980 et réparties sur l’ensemble du territoire, se trouvent aujourd’hui impliquées dans l’encadrement de ces bénévoles comme, par exemple, l’Association pour le développement des soins palliatifs, mais aussi les Petits frères des pauvres, Alliance, Jalmalv, Albatros ou encore Pierre Clément, poursuivant toutes une mission identique : accompagner la personne en fin de vie.
Afin de mieux comprendre le fonctionnement de ce système, nous sommes allés à la rencontre de l’association pour le développement des soins palliatifs (« ASP ») de Toulouse. Une discussion avec la Présidente de l’association, Madame Valérie Revol, nous a permis de mieux comprendre non seulement comment se traduit concrètement la mise en œuvre de l’article L.1110-1 du Code de la santé publique précité, mais aussi comment les soins palliatifs et plus largement la mort se trouvent désormais perçus.
1. L’association pour le développement des soins palliatifs confrontée au rejet la finitude de l’Homme
L’ampleur des missions poursuivies par l’ASP révèle par ailleurs les difficultés auxquelles cette dernière peut se trouver confrontée en raison de la solitude dans laquelle les personnes peuvent se trouver face au deuil.
Une mission de grande ampleur
L’Association pour le développement des Soins Palliatifs de Toulouse est créée le 5 janvier 1988. Elle est membre de l’Union Nationale des Associations pour le développement des Soins Palliatifs dont le siège social se trouve à Paris (UNASP) et qui fédère 70 ASP assez bien réparties sur le territoire français métropolitain et outre-mer pour un total d’environ 5000 bénévoles dont 95 à Toulouse.
Plusieurs objectifs sont décrits par les statuts de l’ASP Toulouse. La diversité de ces derniers révèle l’ampleur de sa mission allant de l’accompagnement de la personne en fin de vie comme de la personne endeuillée jusqu’à la promotion et à la sensibilisation aux soins palliatifs auprès des citoyens comme des professionnels de santé :
- Développer et faire connaître les soins palliatifs ;
- Prodiguer l’accompagnement spécifique afin d’améliorer le soutien de toute personne et son entourage en situation de soin palliatif et/ou de deuil ;
- Promouvoir la culture palliative et/ou l’approche du deuil auprès des professionnels de santé et du grand public ;
- Dispenser toute formation utile à cet égard ;
- Organiser tout séminaire, colloque, journée d’étude et de manière générale, toutes activités pouvant concerner les soins palliatifs et/ou l’approche du deuil.
Une mission délicate et difficile
La mission est lourde car les rituels de la société qui portent le deuil s’amenuisent depuis de nombreuses années. La personne se trouve de plus en plus seule avec sa douleur. Le but de l’ASP réside justement dans le fait de pallier cet écueil et de venir soutenir la personne, l’écouter, ne pas nier l’évènement en lui permettant de faire part de sa détresse, de sa colère, de son angoisse, et ce jusqu’à l’acceptation, sans pour autant se substituer à la famille.
Or qu’il s’agisse de l’accompagnement du deuil ou de la personne en fin de vie, les ASP semblent malheureusement souffrir d’un net déficit de notoriété. En effet le rejet par notre société de l’idée de la finitude de l’être humain et de la souffrance qui en résulte en est sûrement l’une des principales explications. D’ailleurs la crise sanitaire liée à l’épidémie de SARS-CoV-2 a été l’un des révélateurs du dit phénomène. Tel que l’énonce la Présidente de l’ASP Toulouse, tout d’un coup « notre société a eu le sentiment de côtoyer la mort alors que celle-ci est habituellement effacée, voire niée, tout en redécouvrant que l’être humain est vulnérable et mortel ».
2. L’action des bénévoles strictement encadrée par la loi : une singularité motivée par la mission de l’association
Les bénévoles des associations comme l’ASP voient leur intervention « labélisées » par une formation très strictement encadrée ainsi que par un nécessaire conventionnement avec les établissements de santé.
Une formation strictement encadrée par la loi
Le Code de la santé publique encadre très strictement le bénévolat lié à l’accompagnement de la personne en fin de vie. Il s’agit là du seul cas français de formation obligatoire du bénévolat. Le rôle de l’ASP réside ainsi dans la sélection et la formation des bénévoles. L’article L.1110-11 du Code de la santé publique prévoit notamment le respect d’une charte définissant les principes que les bénévoles sélectionnés doivent respecter dans leur action. Ces principes comportent notamment le respect des opinions philosophiques et religieuses de la personne accompagnée, le respect de sa dignité et de son intimité, la discrétion, la confidentialité et l’absence d’interférence dans les soins. L’ASP Toulouse a bien évidemment adhéré à la charte des soins palliatifs dont la dernière version élaborée par l’UNASP et l’ASP Fondatrice date de 2010.
La formation du bénévole est plus que rigoureuse. D’abord la sélection à l’aide d’un entretien mené par deux bénévoles spécialement formés. Pendant une heure la personne est interrogée à partir de trois grands axes. D’abord sur ses motivations : les raisons de son choix, sa disponibilité, sa connaissance de l’association, l’expérience du bénévolat et du travail en équipe. Puis c’est sur la question de l’accompagnement en lui-même que le candidat est ensuite interrogé : quelle sera sa représentation et son rôle en tant que bénévole d’accompagnement et quelles sont ses réflexions sur la Charte. Enfin c’est plus spécialement sur sa vision de la mort que l’entretien se clôture : quelles sont ses croyances et sa philosophie, quelle est son expérience avec le deuil ou encore a t’il déjà accompagné quelqu’un en fin de vie.
Une fois l’avis des deux « recruteurs » recueilli et uniquement si ce dernier est favorable, le dossier est transmis à un psychologue menant à son tour un second entretien avec le candidat. En cas d’avis défavorable de la part du psychologue, un entretien entre ce dernier et les premiers recruteurs est requis.
Une fois ces deux premières étapes franchies, le candidat bénévole démarre une formation d’une durée d’environ neuf mois dont le programme est arrêté par la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (« SFAP ») imposant une base minimum. C’est au sein d’une seule et même promotion qu’il doit suivre différents modules théoriques et pratiques autour de la fin de vie, des soins palliatifs, de l’écoute, du deuil, de la personne âgée, des groupes de parole sans oublier la mise en place de nombreux jeux de rôle.
À la fin de la formation, le candidat se voit confiée une liste de coordinateurs à consulter en vue de mesurer et de comprendre le fonctionnement de chaque équipe, occasion aussi d’avoir une expérience plus pratique. Puis on lui demande de faire trois choix c’est-à-dire de choisir trois secteurs dans lesquels il souhaiterait intervenir. On note alors que le bassin de recrutement se trouve assez tourné vers les établissements du centre-ville laissant une fois de plus les secteurs périphériques et principalement la ruralité de côté. Un constat qui, malheureusement, ne cesse de se confirmer dès que la question de la fin de vie est envisagée.
Un entretien post, visant à s’assurer des motivations de la personne, valide la candidature. Bien que cela soit rare, il se peut que la formation d’un candidat soit arrêtée en cours de route si son profil ne convient pas.
Enfin au-delà de la formation imposée des bénévoles, l’ASP organise aussi des formations pour les équipes soignantes par des professionnels médecins, psychologues, assistantes sociales, juristes. Toutefois les contraintes liées au dispositif « développement professionnel continu » (« DPC ») initié par la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires du 21 juillet 2009 ou encore à la certification a malheureusement rendu cette mission marginale. Cet écueil laisse alors la place à la signature de conventions avec des organismes certifiés plus à même de prendre en charge la formation des soignants.
Le nécessaire conventionnement avec les établissements de santé
L’annexe n°5 de la circulaire de la Direction de l’Hospitalisation et de l’Organisation des Soins (DHOS) du 25 mars 2008 relative à l’organisation des soins palliatifs détaille quant à elle les missions et obligations du bénévolat en matière de soins palliatifs et ce quel que soit l’association qui les encadre. Il y est notamment précisé que « les associations d’accompagnements qui organisent l’intervention des bénévoles dans des établissements de santé sont constituées par un ensemble de personnes issues de la société civile et du monde de la santé qui se mobilisent pour améliorer les conditions de vie des personnes en souffrance et de leur environnement, confrontés à la maladie grave, au grand âge, à la mort et au deuil ». Un esprit de partenariat avec les professionnels de santé anime l’action de ces associations.
Afin de respecter au mieux ces obligations, chaque association doit alors signer une convention avec les établissements concernés par leur intervention. La convention type prévue par l’article R.1110-1 du Code de la santé publique renvoyant à l’annexe 11-1 du même code précise que l’association assure la sélection, la formation à l’accompagnement et le soutien continu des bénévoles ainsi que le fonctionnement de l’équipe de bénévoles. Quant à l’établissement d’accueil, ce dernier s’engage à préparer par des actions de sensibilisation son personnel et les intervenants exerçant à titre libéral à l’intervention des bénévoles de l’association.
Si la signature de telles conventions apparait comme la condition sine qua non à l’intervention des bénévoles au sein des établissements de santé, elle se trouve tout autant utile pour ces derniers en vue de remplir le critère pour l’accompagnement en soins palliatifs identifié parmi tous ceux nécessaires à leur certification pour la qualité des soins et nécessaire à l’obtention d’unités de soins palliatifs (« USP ») ou de lits identifiés en soins palliatifs (« LISP »). Des rencontres entre l’ASP et les inspecteurs, si elles sont rares, sont cependant possibles.
3. Le constat d’un accès encore difficile aux soins palliatifs
L’accès aux soins palliatifs demeure encore difficile et l’une des solutions réside avant tout dans la promotion de la culture palliative.
Des causes multifactorielles
Si la Présidente de l’ASP salue les progrès ayant été faits au niveau des droits des malades ou dans la formation des professionnels à la culture palliative, l’accompagnement de la personne en fin de vie demeure une réalité encore difficile à accepter dans une société prônant le jeunisme et le dynamisme. Les lois Kouchner, Leonetti et Claeyes-Leonetti sont de véritables victoires à ne pas négliger, mais il y a encore beaucoup à faire.
En outre, tel que le souligne l’IGAS dans son dernier rapport publié au mois de février 2020, « en ce qui concerne les 10 000 bénévoles qui seraient regroupés dans 350 associations, plusieurs problèmes se posent. Le personnel des établissements de santé et des établissements médico-sociaux valorise encore insuffisamment l’accompagnement et le bénévolat. Les aides aux associations financées par la CNAM demeurent également d’un niveau modeste : en 2017, 180 associations ont été financées pour un montant de 1 175 485 € qui couvre 50% des dépenses de formation engagées »[4].
Ainsi donc de nombreuses personnes peu entourées demeurent esseulées et n’ont pas accès aux dispositifs que nous venons de présenter. En effet le lien avec les ASP ne s’effectue en général que grâce aux équipes soignantes et aux réseaux comme le réseau de santé Relience. C’est bien souvent l’équipe mobile, ou par le biais des LISP, que le lien est fait et ce principalement entre les services de pneumologie ou de cardiologie et les ASP. Quant aux établissements de santé de très grande envergure comme les CHU, il peut arriver qu’il n’y ait paradoxalement aucun lien entre les associations et les services confrontés à ce type de situation. Finalement cela dépendrait bien souvent de la culture palliative entretenue par le Chef de service préférant développer avant toute chose le curatif au détriment du palliatif.
Des difficultés importantes se trouvent aussi au niveau des EHPAD et de l’accompagnement à domicile. Entre un nombre trop nombreux d’EHPAD et un nombre insuffisant de bénévoles, ces établissements ne bénéficient souvent pas de l’intervention du soutien des ASP. En ce qui concerne l’intervention au domicile de la personne, si cela est théoriquement possible, c’est en réalité délicat et ce en dépit du conventionnement avec le réseau Relience et les HAD. Il faut savoir garder sa distance et être vigilant. Selon les mots de la Présidente « on rentre dans l’intimité mais on n’est pas l’intime de la personne » car seulement des représentants de la société civile. Dans tous les cas, l’intervention d’un binôme est préconisée par l’association.
Enfin l’impact de la crise sanitaire liée à l’épidémie de SARS-CoV-2 a participé à révéler le caractère essentiel de la prise en charge palliative. En effet lors du premier confinement les directeurs d’établissement de santé, parce que dépassés, ont été contraints de fermer les portes aux bénévoles accompagnant habituellement les personnes en fin de vie, accentuant d’autant plus les insuffisances liées à la prise en charge palliative.
Des solutions reposant sur la promotion de la culture palliative
L’ASP continue de poursuivre sa mission de promotion de la culture palliative et des droits des personnes à travers des congrès, des conférences, l’édition de plaquettes mais aussi grâce à sa participation à la Journée mondiale des soins palliatifs. L’organisation de manifestations comme des expositions dans les facultés de médecine, de pharmacie, au sein du pôle de formation des métiers de la santé ou bien en intervenant au sein de DU, de DIU ou encore dans les IFSI et IFRASS sont autant de moyens utiles pour promouvoir l’importance de l’accompagnement de la personne en fin de vie et des soins palliatifs. Le dernier projet en date réside dans l’obtention des fonds pour la mise en place d’un « pallia-truck » avec le soutien de l’Agence Régionale de Santé et de partenaires privés et s’inscrivant dans une opération de communication type hôpital hors les murs.
Finalement si la diffusion de la culture palliative apparait comme indispensable en termes de santé publique, et ce notamment en raison du vieillissement croissant de la population, on constate qu’elle l’est aussi par son apport aux disciplines autres que strictement médicales…
[1] Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, JORF n°0028 du 3 février 2016.
[2] Loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs, JORF n°132 du 10 juin 1999.
[3] Article 10 de la loi n°99-477 du 9 juin 1999 dans sa version initiale. Codification à l’article L.1110-11 du Code de la santé publique par l’article 9 de la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, JORF du 5 mars 2002, Texte n° 1.
[4] Rapport IGAS, Évaluation du plan national 2015-2018 pour le développement des soins palliatifs et l’accompagnement en fin de vie, juillet 2019 (publié en février 2020), p.28, n°76.