Actualité constitutionnelle des directives anticipées
Le présent article rédigé par Mmes Anaïs DIDIER & Louise VIEZZI-PARENT, étudiantes (promotion Joseph Ducuing) du Master (II) Droit de la santé de l’Université Toulouse Capitole, s’inscrit dans le cadre de la 7e chronique en Droit de la Santé du Master Droit de la Santé (UT1 Capitole)
avec le soutien du Journal du Droit Administratif.
Avec l’avènement de la loi Kouchner du 4 mars 2002[1] qui a permis la mise en place de nouveaux droits pour le patient et qui consacre tout un chapitre aux droits de la personne[2], les textes visant à reconnaître des prérogatives aux principaux intéressés n’ont censé de fleurir.
La loi Kouchner a posé les jalons d’une démocratie sanitaire où le patient n’est plus assujetti aux desiderata de son médecin, exit le paternalisme exercé jusqu’en 1942[3]. Aussi, désormais le patient devient véritable décideur de sa prise en charge. Sont acceptés le droit à l’information, qui avait longtemps été boudé tant par la juridiction administrative que judiciaire[4], la liberté de choix de l’établissement et du praticien[5], ou encore la désignation d’une personne de confiance dans le cas où le patient serait dans l’impossibilité d’exprimer sa volonté. En bref, la relation entre un patient et son médecin ne doit pas être un bras de fer mais bien un choeur où chaque parole est entendue équitablement.
Plus tard, ce sera la loi dite Léonetti du 22 avril 2005[6] qui s’inscrira dans la lignée de ce qui avait été fait en 2002, en consacrant cette fois-ci des droits aux personnes en fin de vie. Elle mettra en place des dispositions qui s’imposent aujourd’hui aux médecins, tels que l’interdiction de l’obstination déraisonnable ou le développement des soins palliatifs[7]. Pour le patient, dans la continuité de ce qui avait été commencé en 2002, il lui sera offert la possibilité de rédiger des directives anticipées dans les cas où il se retrouverait dans l’impossibilité physique de donner son consentement aux soins. Finalement la construction du système sera parachevée avec la mise en place de la loi Claeys-Léonetti[8] qui précisera que les directives anticipées s’imposent au médecin et dont le contenu prime sur la personne de confiance, la famille ou encore les proches. Néanmoins, la portée de ces directives anticipées n’est pas toujours absolue et la récente décision du Conseil constitutionnel[9] interroge sur leur application en pratique (III). Aussi, pour comprendre leur portée, il est nécessaire de revenir aux principes gouvernant la relation de soins entre un médecin et son patient (I), avant de s’intéresser au rôle du médecin et de la volonté du patient tant dans les cas de conscience que dans ceux et d’inconscience (II).
I. Des principes gouvernant la relation de soins entre un médecin et son patient
La limitation de l’atteinte à l’intégrité humaine (A) passe par la reconnaissance de la personne en tant qu’humain, et notamment la prise en compte de sa dignité et de l’inviolabilité de son corps, mais également par l’obtention de son consentement (B).
A. De la limitation de l’atteinte à l’intégrité humaine
L’action d’un médecin sur le corps de patient se doit d’être en principe, consentie, puisqu’elle est gouvernée par deux droits extrapatrimoniaux fondamentaux que sont les principes de dignité de la personne humaine et celui de l’inviolabilité du corps humain.
Le principe de dignité de la personne humaine a été consacré pour la toute première fois par le décret de 1848 abolissant l’esclavage[10]. Mais également à demi mot par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen[11], de manière prétorienne par le Conseil constitutionnel en 1994[12] suite aux lois bioéthiques, et enfin par le Conseil d’État en 1995[13].
Il trouve aujourd’hui sa source à l’article 16 du Code civil selon lequel « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».
Le principe de l’inviolabilité du corps humain,quant à lui, est établi l’article 16-1 du Code civil selon lequel « chacun a droit au respect de son corps, le corps humain est inviolable ». Ce principe implique qu’aucun être humain ne peut subir d’atteinte à l’intégrité physique. Le non respect de cette disposition entraîne, pour l’auteur de l’atteinte, reconnaissance d’une infraction pénale qui peut se voir lourdement condamnée[14].
À la simple lecture de la lettre de cette disposition, il serait possible de penser que personne ne peut porter atteinte au corps humain, et ce même dans un but thérapeutique. Néanmoins, l’article 16-3 du Code civil vient en disposer autrement : « il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale, ou à titre exceptionnel, dans l’intérêt thérapeutique d’autrui ». On a alors là l’incarnation d’un véritable monopole du médecin sur le corps de son patient, mais seulement « en cas de nécessité médicale » ou « dans l’intérêt thérapeutique d’autrui ». À la lettre de cette article, aucune autre justification que la visée thérapeutique ne saurait être avancée lorsqu’un être humain subit une mutilation irréversible, et pas même la religion[15] dont la circoncision devrait factuellement être considérée comme un délit pénal.
Si la plupart des atteintes au corps humain par le personnel médical ne posent pas de problème en application de ce principe, subsiste néanmoins un îlot, qui ne présente aucun intérêt thérapeutique, ni médical, mais qui, bien que, ne tombe pas sous le coup de l’infraction pénale : la chirurgie esthétique[16]. Cette dernière a été définie par un décret du 11 juillet 2005[17] comme « les actes chirurgicaux tendant à modifier l’apparence corporelle d’une personne, а sa demande, sans visée thérapeutique ou reconstructrice ». C’est ainsi dans un but de régulation de cette activité et de limitation de ses dérives, que le Code de la santé publique y consacre un chapitre complet dans sa partie législative et un titre entier dans sa partie réglementaire. Bien que sa pratique soit en principe illicite du fait qu’elle ne rentre pas dans le cadre légal posé par l’article 16-3 du Code civil, l’émergence de normes contra legem la rendent de facto licite, comme exception au principe posé par l’article suscité.
Ces deux principes permettent de mettre un cran d’arrêt à la toute puissance du médecin sur le corps humain. Néanmoins, le consentement dans la relation de soins n’en reste pas moins un principe tout aussi fondamental.
B. De la nécessité de l’obtention du consentement du patient pour le médecin
Le principe du consentement du patient est posé à l’article L1111-4 et affirmé par la loi Kouchner du 4 mars 2002, mais également au second alinéa de l’article 16-3 précédemment évoqué.
Selon le Code de la santé publique « « aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne, et le consentement peut être retiré à tout moment » tandis que le Code civil s’attache à rendre la formule plus lapidaire : « Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir ».
Si le principe du consentement du patient bénéficie d’une consécration législative, il est également inscrit à l’article 36 du Code de déontologie médicale et transcrit dans la partie réglementaire du Code de la santé publique à l’article R4127-36[18]. Il bénéficie alors d’une assise confortable tant d’un point de vue législatif que règlementaire.
Pour l’Ordre des médecins, chargé tant d’une mission de régulation administrative que juridictionnelle, « Les actes médicaux justifiant ce consentement doivent être entendus au sens large : en commençant par l’examen clinique habituel dont certains gestes peuvent être désagréables, comprenant d’éventuelles investigations complémentaires, différents traitements, la surveillance du traitement et de ses suites ; le consentement du patient porte également sur sa participation éventuelle à la formation d’étudiants ou de professionnels de santé. Le fait d’intervenir sur un patient contre son consentement est pour un médecin une faute qui engage sa responsabilité civile et l’expose à une sanction disciplinaire »[19]. Il va également préciser qu’en l’absence de conscience de la part du patient ou de l’impossibilité de recueillir un consentement éclairé, le médecin doit chercher sa volonté dans la famille, ou à défaut les proches. L’Ordre ne semble pas compte tenir ici, dans son interprétation, des directives anticipées, pourtant charnières lorsque le patient se trouve hors d’état d’exprimer sa volonté.
Le consentement doit alors présenter deux caractéristiques : il se doit d’être libre et éclairé. Ce qui signifie qu’il ne doit pas être vicié, obtenu sous la menace et/ou la contrainte ; mais également que le patient doit avoir été informé correctement par le médecin ou l’équipe médicale, des issues de la prise en charge, et notamment des risques qu’elle comporte, et ce, même exceptionnels.
Le devoir d’information du médecin à son patient est inscrit à l’article R4127-35 du Code de la santé publique[20], cette information doit porter « sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention proposée, leur utilité, leur urgence éventuelle, les conséquences, les risques graves ou prévisibles qu’ils comportent et les conséquences prévisibles en cas de refus »[21].
En cas de défaut de délivrance de cette obligation il reviendra à la personne dispensatrice de prouver qu’elle n’a pas été défaillante dans son devoir. Aussi, afin de prouver la bonne exécution de leur obligation, les médecins avaient pris l’habitude de faire signer un document écrit comportant les différents risques relatifs à la prise en charge. Néanmoins, le juge administratif est venu préciser que « un tel document n’est pas de nature à établir que les praticiens se sont acquittés de leur obligation d’information »[22]. Aujourd’hui, c’est une appréciation in concreto qui est faite par le juge, comptant le nombre de consultations ayant été réalisées ou prenant également en compte les témoignages de l’équipe soignante. D’autant plus qu’il appartient « au professionnel ou à l’établissement de santé » aux termes de l’article L1111-2 du Code de la santé publique, « d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé » par exception au principe posé par le droit commun.
Si cette obligation d’information est alors rendue obligatoire dans le but d’obtenir un consentement libre et éclairé, il est tout de même nécessaire de distinguer selon que le patient se trouve dans un état de conscience, ou bien d’inconscience.
II. L’application du consentement dans les cas de conscience et d’inconscience
Le consentement aux soins, reconnu par la loi Kouchner, est devenu un des piliers de la relation entre le médecin et le patient. Mais son expression dépend largement de l’état de santé de ce-dernier. Et il sera donc apprécié différemment en fonction de si le patient est conscient (A) ou inconscient (B).
A. Le consentement du patient en état de conscience
Comme évoqué, l’obligation d’obtenir le consentement de son patient qui incombe au médecin doit être respectée à tout moment dans la relation de soins. Il est alors logique qu’elle le soit quand le patient est dans un état de conscience qui le rend apte à consentir aux soins et traitements qui lui sont prodigués.
Lorsque le patient est dans un état de conscience qui lui permet de prononcer son consentement aux soins, ce droit de consentir, et donc a contrario, de les refuser, est inscrit à l’article R4127-36 du Code de la santé publique[23]. Ce droit reconnu au patient et l’obligation qui en découle pour le professionnel, sera également rappelé dans le Code de la santé publique[24], à une place bien plus symbolique. Cette section regroupe les principes généraux relatifs à ces droits des patients.
L’article L1111-4 énoncera par exemple que, « le médecin a l’obligation de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables ». Ce dernier sera mis en avant par les différentes lois relatives à la fin de vie, du 22 avril 2005, dite loi Leonetti[25], et du 2 février 2016, dite Leonetti-Claeys[26]. Il faudra néanmoins noter que, même si le patient est conscient lorsqu’il refuse ces soins, le médecin garde l’obligation de le convaincre de s’y soumettre si ce refus est de nature à mettre sa vie en danger. Cette possibilité de refuser les soins reste cependant biaisée du fait que le médecin conserve son obligation de soigner.
Dans les décisions rendues par les différentes juridictions, différentes interprétations de ce droit de consentir aux soins pour le patient, et de cette obligation d’obtenir ce consentement pour les professionnels sont données par les juges, ce qui porte déjà à s’interroger sur leur réelle effectivité.
Les juges judiciaires ont largement reconnu un droit de refus des soins en faveur des patients, avec une absence de pouvoir de contrainte reconnu aux professionnels de santé. Néanmoins, en conséquence, il ne peut être reconnue une responsabilité du fait de l’inaction du médecin à la suite de ce refus[27].
Pour ce qui est du juge administratif, celui-ci a montré plus de réticences a laissé une place pleine et entière au droit de refuser les soins en faveur du patient. Si le tribunal administratif de Rennes[28] reconnaîtra à ce droit de refus une valeur de liberté fondamentale aux termes de l’article L521-2 du Code de justice administrative, aucune responsabilité du professionnel de santé ne pourra être retenue s’il est allé outre le refus du malade. Aussi, l’obligation de soigner[29] est plus forte que le respect de la volonté du patient.
Cette divergence de jurisprudences entre les deux juridictions crée une différence de traitement entre les usagers du système de santé. En effet, les patients soignés en clinique ou dans un établissement privé verront leur volonté écoutée et respectée par les médecins qui les prennent en charge. Alors qu’au sein d’un hôpital, le consentement du patient aux soins risque d’être balayé par les professionnels de santé.
Un exemple célèbre et frappant de l’appréciation du droit du patient de refuser des soins faite par le juge administratif renvoie à l’arrêt du Conseil d’Etat du 26 octobre 2001, Senanayaké[30]. En l’espèce, un homme avait été hospitalisé pour une insuffisance rénale aigüe. Il avait inscrit, dans une lettre portée à son dossier médical, qu’il refusait, en tant que témoin de Jéhovah, toute transfusion sanguine et ce, même si elle est le seul moyen de lui sauver la vie. Il réitèrera son refus à plusieurs reprises, dont une fois en présence de sa femme, d’un médecin ainsi que d’une infirmière de l’établissement de santé. Il persistera pour autant dans son refus, sans considérer les informations données par les professionnels qui mettaient en avant la réduction drastique des chances de survie en l’absence de transfusion sanguine. Malgré les nombreux refus, des transfusions seront réalisées alors même que le patient était inconscient. Le juge administratif différenciera deux situations, en fonction de l’état de conscience du malade. Si le patient est conscient, le médecin devra se plier au refus exprimé par celui-ci, même si sa vie est menacée de par l’absence de soins. A contrario, si la personne est inconsciente, les juges du Palais-Royal s’attacheront à donner une solution différente.
B. Le consentement du patient en état d’inconscience
Cette situation est régie de manière règlementaire à l’article R4127-36 du Code de la santé publique[31]. Néanmoins, dans l’arrêt Senanayaké, le Conseil d’État dégagera une solution selon laquelle, si le patient était inconscient, le médecin doit mettre tous les moyens en oeuvre pour connaître l’expression de la volonté de son patient. Cependant, le médecin peut également aller au delà et ne pas respecter la volonté du patient, et ce « dans le seul but de tenter de le sauver, d’accomplir un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état »[32], sans que cela ne puisse lui être reproché. La question se pose alors du réel respect du consentement aux soins lorsque le patient a strictement refusé tout soin.
Les directives anticipées, inscrites à l’article L1111-11[33] du Code de la santé publique permettent la réelle de la volonté d’un patient inconscient. Ces directives sont rédigées par le malade, à un moment où il est en état de pouvoir exprimer sa volonté et sont portées à son dossier médical. Elles s’imposent au médecin. Son anticipation et son écrit permettent d’assurer que sa volonté, concernant les soins qui pourront lui être délivrés, sera respectée.
Ces directives anticipées ainsi que leur vocation sont précisées réglementairement. Le décret du 3 août 2016[34] ainsi que le décret du 6 avril 2017[35] précisent tous deux que « la décision de limitation ou d’arrêt de traitement respecte la volonté du patient antérieurement exprimée dans les directives anticipées. Lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, la décision de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés, au titre du refus d’une obstination déraisonnable ne peut être prise qu’à l’issue de la procédure collégiale prévue à l’article L1110-5-1 et dans le respect des directives anticipées, et, en leur absence, après avoir été recueilli auprès de la personne de confiance, ou à défaut, auprès de la famille ou de l’un des proches, le témoignage de la volonté exprimée par le patient ». Aussi, la décision d’arrêt des traitements doit être prise, certes par une procédure collégiale, mais également « dans le respect des directives anticipées ».
Alors, le patient qui n’est plus en capacité d’exprimer sa volonté se doit d’avoir informé au préalable, ou consigné dans un document, le fait qu’il ne voulait plus être maintenu en vie de manière mécanique. C’est au sein de ces mêmes décret qu’est précisé, qu’en cas d’absence de directives laissées par le patient, il est possible de se référer à la personne qui est énoncée à l’article L1111-6 du Code de la santé publique[36]. L’avis de cette personne de confiance doit être entendu et pris en compte par le collège médical qui prendra la décision concernant les soins prodigués ou non à la personne inconsciente, et ce au même titre que les directives anticipées si elles avaient été rédigées par le malade. Cela s’explique par cette personne désignée est en mesure de dire ce que le patient aurait souhaité concernant ses soins ainsi que sa fin de vie, puisqu’il est raisonnable de supposer qu’elle ait été choisie pour cela.
Se pose alors la question de savoir ce qu’il en est quand les médecins ne respectent pas les directives anticipées ? C’est l’article L1111-11 du CSP qui nous répond : « Les directives anticipées s’imposent au médecin pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement, sauf en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale »; « La décision de refus d’application des directives anticipées, jugées par le médecin manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient, est prise à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire et est inscrite au dossier médical. Elle est portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de la famille ou des proches ».
Mais cette reconnaissance des directives anticipées a connu une amputation de par l’existence de limites législatives à leur respect, limites qui ont été illustrées dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel du 10 novembre 2022.
III. La reconnaissance prétorienne et législative du refus de respecter les directives anticipées
Les directives anticipées ne sont pas absolues. En effet, à peine le principe posé par la loi que des exceptions ont rapidement suivies au sein des articles L1111-11 et R4127-37-1 du Code de la santé publique. Si le législateur s’attachera à poser la règle selon laquelle les directives anticipées « s’imposent au médecin pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement », il inscrira néanmoins qu’elles ne s’appliquent pas en cas d’urgence vitale le temps de l’évaluation de la situation, et si elles apparaissent manifestement inappropriés ou non conformes à la situation médicale.
Même si ces exceptions sont inscrites de manière suffisamment claire dans la loi, il n’empêche que le contentieux en reste abondant, notamment sur les témoins de Jéhovah. Par exemple, dans une ordonnance du Conseil d’État[37], le juge des référés est venu rappeler que « par des actes indispensables à sa survie et proportionnés à son état, alors qu’il était hors d’état d’exprimer sa volonté, les médecins de l’hôpital d’instruction des armées Sainte-Anne n’ont pas porté atteinte à ce droit (…), d’atteinte manifestement illégale ».
La question des directives anticipées manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale renvoie indirectement à celle du refus de l’acharnement thérapeutique ou de l’obstination déraisonnable[38]. C’est puisque l’état du patient n’est pas en accord avec les directives anticipées que ces dernières ne peuvent pas être respectées, faute de quoi le praticien irait à l’encontre de ces principes déontologiques[39] en acceptant de soigner un patient dont les chances de survie sont nulles, avec des traitements qui ne pourraient avoir aucun effet sur la situation du malade.
Cette question peut aussi être abordée dans son aspect positif. En effet, les directives anticipées peuvent contenir un refus de réanimation alors que la situation ne se prête pas à une réanimation « déraisonnable », puisque l’état du patient laisse présager à un rétablissement certain.
C’est dans ce contexte d’incertitude qu’est né le contentieux ayant mené à la question prioritaire de constitutionnalité rendue 10 novembre dernier par le Conseil constitutionnel. L’affaire prend place au tribunal administratif de Lille[40]. En l’espèce, un homme âgé de 44 ans a été, le 18 mai 2022, victime d’un polytraumatisme suite à son écrasement par un véhicule utilitaire sur lequel il faisait des réparation, le plongeant dans un coma profond. Devant la persistance de cet état qui était considéré comme « insusceptible d’amélioration », l’équipe médicale avait décidé de mettre en place la procédure collégiale prévue à l’article L1111-11 du Code de la santé publique[41]. Cette procédure a été suspendue par un référé-liberté intenté par les femme et filles du patient. Pour elles, la décision d’arrêt des soins ne tenait pas compte des directives anticipées du patient qui se trouvait dans un état végétatif. En revanche, pour les différents professionnels en charge du patient, les directives anticipées apparaissaient comme « manifestement inappropriées au regard de la situation clinique et du pronostic défavorable du patient ». Le tribunal administratif de Lille donnera raison à ces derniers.
Bis repetita, une nouvelle procédure collégiale d’arrêt des soins sera mise en place le 11 juillet 2022 qui donnera lieu à une décision du 15 juillet, décidant de ne pas tenir compte, une fois de plus, des directives anticipées de la part du personnel soignant. De nouveau, un référé-liberté sera tenté, et les requérantes déboutées[42]. L’affaire arrivera finalement en appel devant le Conseil d’État qui renverra, après vérification des conditions, l’affaire devant le Conseil constitutionnel.
C’est en l’état que le Conseil constitutionnel se prononcera le 10 novembre 2022. En premier lieu il s’attachera à rappeler qu’il ne lui appartient pas de définir, à la place du législateur, les situations dans lesquelles un médecin peut écarter les directives anticipées[43]. Ensuite, il rappellera que le caractère manifestement inapproprié ou non-conforme à la situation médicale ne présente pas de difficulté en ce que l’expression n’est ni imprécise, ni ambiguë. Cette argumentation apparaît tout à fait absurde et malhonnête car le législateur s’est justement attaché à insérer une dispositif ambiguë pour laisser une marge de manoeuvre au médecin. Le problème reste de savoir comment caractériser des directives anticipées inappropriées ou qui seraient jugées non-conformes.
Si la disposition est louable car elle permet de laisser une marge d’appréciation au médecin dans l’exercice de son art, elle peut néanmoins être discutée sur le terrain de la responsabilité. En effet, comment s’assurer que les médecins ne risquent pas de l’engager s’ils ne respectent pas des directives anticipées qui demanderaient la poursuite des soins alors même que la situation est sans espoir d’une quelconque rémission ?
Un grand nombre de personnes inconscientes, sans chance de se réveiller un jour, pourraient rester dans les hôpitaux ad vitam aeternam, avec un fort risque de dégradation de l’état de leur corps, constitutif en lui-même d’une atteinte à la dignité de la personne humaine.
De plus, il est important de soulever que cette disposition qui permet aux professionnels de santé d’outrepasser les directives anticipées dans l’intérêt de leur patient n’est pas connue de tous. Il est légitime de se demander si cette désinformation est volontaire, permettant ainsi de limiter, en pratique, le non-respect des directives anticipées[44], ou si le sujet qui entoure le non-respect des directives anticipées est tabou, et l’information n’est donc pas faite ?
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 10 novembre, choisit la tranquillité en évacuant le problème de la caractérisation d’une directive anticipée manifestement inappropriée ou non-conforme à la situation médicale du patient[45]. Bien que cela ne relève pas de sa compétence mais de celle du législateur, les Sages de la Rue de Montpensier auraient pu tenter de le forcer à changer sa législation au lieu de tenter de se baser sur une argumentation tendant vers le sophisme[46]. (…)
[1] L. n°2002-303 du 4 mars 2002
[2] Mouvement qui avait été d’ores et déjà lancé par l’ordonnance n°2000-548 du 15 juin 2000 relative à la partie législative du Code de la santé publique
[3] Sur ce point Cass., ch. des requ., 28 janvier 1942, Teyssier
[4] Ibid et v. sur ce point Cons. État, 5 janvier 2000, Consorts Telle, n°81899 et Cass, 20 juin 2000, Hédreul, n°9823046
[5] Art. L1110-8 C. santé publique
[6] L. n°2005-370
[7] Soins palliatifs mis en place par la loi du 9 juin 1999, n°99-477 qui sont aujourd’hui un des grands axes des politiques de santé publiques avec la mise en place de comités de lutte contre la douleur dans les établissements de santé ou encore avec le développement des plans nationaux de lutte contre la douleur dont l’on attend aujourd’hui un cinquième volet.
[8] L. n°2016-87 du 2 février 2016
[9] Cons. Const, QPC, 10 novembre 2022, n°2022-1022
[10] D. 27 avril 1848 relatif à l’abolition de l’esclavage dans les colonies et possessions françaises, préambule : « Le gouvernement provisoire, considérant que l’esclavage est un attentat contre la dignité humaine ; qu’en détruisant le libre arbitre de l’homme, il supprime le principe naturel du droit et du devoir ; qu’il est une violation flagrante du dogme républicain, Liberté, Egalité, Fraternité ; considérant que si des mesures effectives ne suivaient pas de très près la proclamation déjà faite du principe de l’abolition, il en pourrait résulter dans les colonies les plus déplorables désordres ».
[11] En effet, la dignité de la personne humaine n’est jamais explicitement mentionnée dans notre bloc de constitutionnalité, le mot « dignité » n’est prononcé qu’une seule fois, à l’article 6 qui semble se rapporter davantage à la fonction publique qu’à la médecine : « Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».
[12] Cons. Const., 27 juillet 1994, n°94-343/344 DC, cons. 2 : « Considérant que le Préambule de la Constitution de 1946 a réaffirmé et proclamé des droits, libertés et principes constitutionnels (…) qu’il en ressort que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ».
[13] Cons. État, ass., 27 octobre 1995, n°136727, Commune de Morsang-sur-Orge
[14] À titre d’exemple, l’article 222-1 du Code pénal nous énonce que « le fait de soumettre une personne à des tortures ou à des actes de barbarie est puni de quinze ans de réclusion criminelle ».
[15] R. Libchader, D. 2012, Chron. 2044 : « avec la circoncision, la question est plus délicate encore : justifiée par des raisons confessionnelles, elle ne l’est par aucune exigence médicale ; voulue par les parents, elle ne fait l’objet d’aucun consentement de l’enfant ».
[16] Qui a une finalité bien différente de son homologue : la chirurgie réparatrice qui tombe sous les principes généraux exercés de manière habituelle en médecine et dont l’atteinte est justifiée par l’application de l’article 16-3 du Code civil. La chirurgie esthétique est définie comme « les actes chirurgicaux tendant а modifier l’apparence corporelle d’une personne, а sa demande, sans visée thérapeutique ou reconstructrice ».
[17] D. n°2005-776 qui crée et codifie l’article R740-1 du Code de la santé publique
[18] Art. R4127-36 C. Santé Publique : « Le consentement de la personne examinée ou soignée dans être recherché dans tous les cas ».
[19] Ordre des médecins, commentaires du Code de déontologie médicale, éd. juin 2022
[20] Art. R4127-35 C. Santé Publique : « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension ».
[21] Art. L1111-2 C. Santé Publique
[22] Cons. État, sec., 5 janvier 2000, n°181899
[23] Art. R4127-36 C. Santé Publique : « Lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences » qui reprendra la circulaire du 6 mai 1995 introduisant la Charte du malade hospitalisé qui inscrit que « tout patient, informé par un praticien des risques encourus, peut refuser un acte de diagnostic ou de traitement, l’interrompre à tout moment à ses risques et périls ».
[24] C. Santé Publique, chap. 1, sec. 1
[25] L. 22 avril 2005, n°2005-370
[26] L. 2 février 2016, n°2016-87
[27] Cass, crim., 3 janvier 1973, n°71-91.820 : « l’information n’a révélé à l’encontre de l’inculpé, aucune faute professionnelle caractérisée qui puisse être un élément constitutif du délit d’homicide involontaire ou du délit de non-assistance en péril, la thérapeutique adéquate prescrite par lui n’ayant pas été appliquée en raison du refus obstiné et même agressif de la patiente », v. également Cass, crim., 30 octobre 1974, n°73-93.381.
[28] TA Rennes, 18 juin 2012, n°1202373
[29] Serment d’Hippocrate : « Je ferai tout pour soulager les souffrances ».
[30] Cons. État, 26 octobre 2001, Sénanayaké, n°198546
[31] Art. R4127-36 al. 3 C. Santé Publique : « Si le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que la personne de confiance, à défaut, la famille ou un de ses proches ait été prévenu et informé, sauf urgence ou impossibilité »
[32] Ibid.
[33] Cet article a été mis en place par la loi du 2 février 2016 dite « Claeys-Leonetti », il dispose que « Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l’arrêt ou du refus de traitement ou d’acte médicaux »
[34] D. n°2016-1966 art. 3
[35] D. n°2017-499 art. 3-1°-a
[36] Art. L1111-6 C. Santé Publique : « Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin. Elle rend compte de la volonté de la personne. Son témoignage prévaut sur tout autre témoignage. Cette désignation est faite par écrit et cosignée par la personne désignée. Elle est révisable et révocable à tout moment »
[37] Cons. État, 20 mai 2022, n°463713
[38] Art. L1110-5-1 C. Santé Publique « Les actes mentionnés à l’article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire ».
[39] Art 37 C. Déontologie Médicale « En toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l’assister moralement. Il doit s’abstenir de toute obstination déraisonnable et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ».
[40] TA Lille, 22 juillet 2022, n°2205477
[41] Art. L1111-11 al 4 C. Santé Publique « La décision de refus d’application des directives anticipées, jugées par le médecin manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient, est prise à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire et est inscrite au dossier médical ».
[42] Ibid
[43] Considérant n°12 : « il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conditions dans lesquelles un médecin peut écarter les directives anticipées d’un patient en fin de vie hors d’état d’exprimer sa volonté dès lors que les conditions ne sont pas manifestement inappropriés à l’objectif poursuivi ».
[44] Dans un but évident de limitation des contentieux.
[45] Dans le sens contraire, v. Le Figaro, n°24338, p. 23
[46] François-Xavier Millet : « à l’issue d’un raisonnement lapidaire et fort peu charpenté comme il en a le secret », Le Figaro, n°24334, p. 18